Paru en France en 2013
Autres livres de L.L. Kloetzer : Cleer
Chronique publiée dans Présences d'Esprits n°83

Anamnèse de Lady Star a connu son petit buzz dans les cercles du fandom SF.

L’auteur français L.L. Kloetzer qui est en réalité un couple, le succès de leur ouvrage précédent Cleer, le titre, la couverture sublime et les premières rumeurs sur le scénario avaient déjà commencé à rendre l’ouvrage envoûtant.

Anamnèse de Lady Star est un roman exigeant et paradoxal : il demande à la fois une attention de tous les instants et un laisser-aller dans le cours d’une histoire qui se dévoile doucement.

Anamnèse, c’est d’abord un contexte. Nous sommes dans un futur proche, quasi contemporain. Parmi nous vivent les Elohim, des êtres à l’apparence humaine, mais éthérés, évanescents, capables de bonds dans l’espace et le temps. Extra-terrestres ? Ce n’est jamais vraiment précisé. Ils ne vivent que de l’attention qu’on leur porte. Ignorés par les hommes, ils disparaissent.

C’est dans cette univers que la pire arme de destruction massive est inventée dans le but d’éliminer des races entières : la bombe icônique. Il s’agit de symboles visuels qui contaminent celui qui les aperçoit. Et voir un contaminé suffit à devenir soi-même porteur de ce virus qui ravage alors la planète. On peut en mourir immédiatement ou devenir un porteur lent. Une guerre est à demi évoquée, où les soldats portent des casques brouilleurs pour ne pas voir les symboles.
Le livre aurait pu avoir la facilité de raconter cette histoire passionnante de manipulation par idéogrammes. Mais non, le récit évolue quelques dizaines d'années après le Satori, le lancement de la bombe.

Anamnèse de Lady Star raconte la recherche, par des survivants de la catastrophe, des dernières traces de la bombe. Pour que ça n’arrive plus jamais. Pour éliminer quiconque détiendrait encore le secret de l’arme icônique.
Le livre se découpe alors en rencontres, en rapports, en reconstitutions du passé via simulations. Le tout forme une vaste enquête à travers tout ce qui reste du Satori. Et toutes ces personnes interrogées – soldats, notables, inconnus – ont un point commun. La présence d’une femme, une Elohim aux noms et identités multiples : Nomen Rosae, Kirsten Lie, déesse Norn. Jamais présente, toujours là. On déduit son existence, on devine sa simple influence et l’écriture de L.L. Kloetzer devient un jeu subtil. La nasse se resserre : il faut la retrouver, la tuer. Elle est ce qui reste de la bombe. A moins qu’elle ne veuille qu’on la trouve, que ce soit l’enquête par elle-même qui la fasse exister.

Avec son ordre déstructuré et non chronologique, sa puissance mystique et cet art de ne pas tout dire, le lecteur a le sentiment qu’il manque une partie de l’histoire, qu’il y a bien plus derrière les lignes. C’est peut-être le reproche que l’on pourrait faire à l’ouvrage. Mais c’est en même temps sa force, cette impression d’ensemble flou, ces jeux d’identités et de vérité. Car chaque témoignage, chaque souvenir est suivi du doute : qui a menti, qui a manipulé la source numérique ou le souvenir ? Sans oublier quelques passages forts que l’on traverse comme on traverse un rêve. Cet hôtel savoyard où un gardien au cerveau lavé garde les sarcophages de pontes du Satori en jouant du jazz seul dans le grand salon, ou cet univers virtuel, Assur, jeu vidéo sans but ni instruction qui n’est que le reflet de la conscience de ceux qui s’y connectent.

Anamnèse de Lady Star, c’est le post-apocalyptique sans désert, ni mutants, ni survie. C’est le post-apocalyptique de la conscience.