Si je devais citer un roman qui m'a mis une claque, Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro viendrait en tête. Avant de le lire, j'ignorais qu'il était possible de faire ça.

L'auteur britannique signe une oeuvre d'une élégance et d'une subtilité rares. Et si le scénario relève bien de la science-fiction, il s'agit simplement d'un thème de bio-éthique bien connu que je ne dévoilerai pas sous peine de spoiler la fin. La force du livre est ailleurs.

Nous suivons dès l'enfance la vie d'une pensionnaire de l'école Hailsham. En apparence une école idéale qui rappelle les pensionnats anglais du siècle dernier. Les règles semblent bien établies, peut-être un peu puritaines, mais avec ses jardins, ses terrains de sport, l'internat semble destiné à des élèves de familles fortunées.

Mais le lecteur réalise progressivement qu'il y a quelque chose d'anormal. Les parents des enfants qui ne sont jamais mentionnés. La notion d'échange qu'on leur inculque sans cesse, avec des bourses aux objets. Ces failles chez les enseignants ou gardiens, qui craquent sans raison aucune.

Après le pensionnat, les jeunes adultes sont envoyés dans un autre bâtiment, comme une période de transition vers le destin terrible qui les attend et que l'on pressent - on sait seulement qu'ils ne vivront pas vieux. Impossible encore une fois de dévoiler la terrible dernière partie du roman sans spoiler.

Mais ce qui frappe avant tout, c'est la résignation des élèves devant le destin qui les attend. Nulle révolte, nulle émotion ni même jugement à propos de leur funeste avenir, même lorsqu'ils en savent davantage. Un film a été tiré de l'oeuvre et malheureusement il passe à côté de cette résignation en jouant sur le pathos, en totale opposition au livre.
Kazuo Ishiguro rend ce détachement encore plus flagrant dans la mesure où toutes les émotions de ses personnages concernent uniquement leur quotidien : petites jalousies et premiers émois amoureux n'en deviennent que plus forts dès lors que l'on devine que tout cela disparaîtra à l'âge adulte.

Un livre de maître tout en finesse, où l'auteur nous fait partager jusqu'à l'âme les sentiment de sa narratrice tout en soulignant l'acceptation résignée d'être manipulé par le monde.