Paru en France en 2012
Autres ouvrages de Gil Graff : Catalan Psycho

Requiem pour une racaille - Chronodrome est de ces ouvrages méconnus du grand public qui pourtant vous marquent sur la durée. Gil Graff, auteure transgenre qui navigue entre l’imaginaire, le trash et le noir, propose ici une œuvre forte.

A quel moment tout à divergé ? Nous ne le saurons jamais. La France en crise a réveillé la bête fasciste et sans jamais saisir véritablement les rouages du soudain basculement, le lecteur va vivre de l’intérieur toute l’horreur d’un retournement de société, jusqu’à des situations si extrêmes qu’elles en deviennent surréalistes, étrangement esthétiques. Gil Graff soulève un coin de notre chère réalité comme pour exposer les cafards sous le tapis. Pis encore, elle interroge le lecteur sur sa nature de voyeur. Car nous ne cessons de tourner les pages, avides de nouvelles atrocités. Au fond, dans quel camp serions-nous ?

Deux frères, dans une cité HLM craignos de Villonne. David, le plus jeune, massif, idiot depuis que son père lui a cogné le crâne, père qui le violait au passage. Julien, le plus âgé, qui a tué le père en question, et vu sa mère mourir. Deux destins que nous suivrons tout au long de l’ouvrage.
Julien devient une sorte de kapo ambitieux dans un camp de travail digne d’Auschwitz, où atterrissent les pauvres et les incompétents de la nouvelle société. Pédophilie, viols, exécutions, torture... Gil Graff ne nous épargne nulle description. On se souviendra longtemps du personnage d’Alex Wint, sorte d’enfant pervers et capricieux dans un corps d’adulte, qui prend des « bains » de petites filles et cherche toujours plus de raffinement tordu dans ses exécutions.
David, lui, trouvera refuge auprès d’autres infortunés, dont Victor, la jeune fille rebelle qui doit pourtant tailler des pipes pour franchir les points de contrôle.

Les destins se croisent et se recroisent. A cela s’ajoute un arc narratif supplémentaire, avec l’évocation de dimensions parallèles ou encore l’idée du Chronodrome, projet (qui existe réellement) qui consiste à donner rendez-vous aux humains du futur via un message laissé dans un satellite, en espérant qu’ils sauront alors voyager dans le temps. L’intrication de ce dernier élément me semble malheureusement un peu artificielle et m’a éjecté de l’ambiance noire et du ton global. C’est le seul reproche que je pourrais faire à l’ouvrage, mais les passages en question sont brefs.

Reste que l’écriture de Gil Graff vous happe, avec son parler cru et ses visions sans concession. Le livre m’a parfois fait penser aux Racines du Mal, pour cette plongée dans des esprits malsains. Mieux encore, Gil Graff évite l’insupportable prétention qui sourd du style de Dantec pour, au contraire, laisser vivre l’horreur brute. Nous ne sommes pas très loin, non plus, du Salo de Pasolini. Mais nous sommes avant tout dans du Graff.

Inclassable, cruel, Requiem pour une racaille est un ouvrage d’autant plus terrifiant que la France fasciste dépeinte n’est pas si éloignée d’un certain passé, et pourrait figurer un futur proche. Difficile d’oublier les personnages, si désaxés, et si humains à la fois.