Paru en France en 1997
Cette chronique a déjà été publiée dans la revue Présences d'Esprits n°83 (où vous trouverez également un interview de l'auteur)

Je découvre ce premier roman de Laurent Kloetzer après avoir lu les deux œuvres qu’il a co-écrites avec son épouse Laure Kloetzer. Je m’attendais bêtement à ce qu’il y manque quelque chose, comme si l’ouvrage allait être amputé de l’une des plumes. Il n’en est rien, Mémoire Vagabonde est une oeuvre bien différente d’un Anamnèse de Lady Star ou d’un Cleer, même si la technique narrative du récit menteur et elliptique y est également présente.

Mémoire Vagabonde se déroule dans un univers que l’on pourrait qualifier de fantasy romantique ou de fantasy de cape et d’épée. Le récit évoque davantage la distinction et les rapières d’une noblesse Renaissance que la chevalerie d’un Moyen-Age brutal employée par nombre d’auteurs fantasy.

Nous suivons Jaël, écrivain de son état, parcourir ce monde entre continents et océans afin de vendre ses mémoires. Mais très vite, ce qui aurait pu se contenter d’être une aventure divertissante se transforme, comme si l’auteur pas plus que le personnage ne pouvait échapper à ses démons.
Car dans ses mémoires, Jaël se présente en héros libertin et séducteur, remportant ses duels et tombant les cœurs. Après tout, il faut bien vendre les livres. Et pourtant, une force mystérieuse le pousse à ressembler à son personnage, comme si ce dernier prenait vie et lui soufflait les bons gestes à l’oreille. Est-il droitier ou gaucher, roux ou brun ? Cette dualité jette un flou sur chaque situation de Mémoire vagabonde : le lecteur se demande si ce qu’il lit arrive à Jaël l’écrivain ou à Jaël le personnage.

Au delà de cet aspect, la capacité d’évocation de Kloetzer est époustouflante. Il nous emmène littéralement dans cette cité gigantesque qu’est Dvern, où Jaël travaillera comme précepteur, avant de s’apercevoir qu’il s’agit plutôt d’un emploi d’amant, voire de simple pion.
Nous découvrirons ainsi des histoires parallèles avec des personnages empêtrés dans leurs propres guêpiers. Le quartier fermé de la « Petite Dvern » avec son prince, ses esclaves et ses habitants drogués est particulièrement réussi.

Mémoire vagabonde est un livre d’aventures, de duels à l’épée et de nobles demeures avec leurs valets et leurs intrigues. Mais c’est aussi un livre sur l’identité, une mise en abîme de l’emprise de l’écrivain sur son personnage, à moins que ce ne soit le contraire. Si l’on ajoute une écriture fluide, peut-être moins séquentielle que dans les ouvrages signés du double L., cela fait trois raisons de lire ce roman.

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