Latium est le premier roman de Romain Lucazeau, que j’ai eu la chance de béta-lire bien avant le grand public. Jusque là je ne connaissais de cet auteur que quelques nouvelles fort agréables mais qui ne m’avaient pas préparé à cela.

J’aurais pu dire que Latium était le space-opéra que j’attendais après, par exemple, l’incroyable Hypérion de Dan Simmons, mais les deux ouvrages n’ont rien en commun hormis leur qualité d’écriture. Là où beaucoup d’auteurs de sagas spatiales vont décliner des sous-intrigues sur de longues périodes et de nombreuses factions, Romain Lucazeau va prendre le mot « opéra » presque au pied de la lettre avec une unité de temps époustouflante - on lit quasiment du temps réel - des personnages principaux et des lieux limités. Il le dit lui-même, il applique les règles du théâtre.

La méthode pourrait apparaître contraignante. Et pourtant, les concepts et les échelles avancés offrent tout le sense of wonder dont on pourrait rêver.
Le récit prend place des milliers d’années après la disparition de l’homme. Des intelligences artificielles dont les corps sont des vaisseaux vastes comme des petits pays - et contiennent des automates qui constituent des parties de leur personnalité - continuent de vivre en vénérant l’Homme. Non par choix, mais parce qu’ils sont programmés ainsi. Des lois d’Asimov dont elles aimeraient bien se libérer, histoire d’avoir le droit d’anéantir les forces biologiques envahissantes, les fameux barbares.
C’est peut-être la raison pour laquelle le proconsul Othon a terraformé une planète pour y développer patiemment une race d’hommes-chiens, non assujettis au Carcan, le programme qui limite les automates. On s’attachera particulièrement à ces hommes-chiens et à leur existence anachronique, leurs armures grecques et leurs trirèmes. Mais c’est aussi l’histoire de Plautine, cette intelligence qui s’est elle aussi isolée des autres automates et a créé en son sein une version biologique d’elle-même, si proche de l’Homme.

Le tout est servi par une écriture d’une justesse étonnante, à la fois riche et donnant à voir. La culture hellénique est omniprésente, utilisée à la fois dans les noms de lieux et de personnages, mais aussi à travers les modes de vie et les philosophies avancées. Mais le tour de force, c’est qu’il n’y a pas le moindre humain dans l’histoire, alors que l’Homme est au centre de tout : quand on découvre peu à peu comment la race a péri, ou par la manière dont chaque personnages se trouve lié à l’humain par un biais ou un autre. L’Homme est tour à tour obsession, souvenir, obstacle, démiurge...
L’action bien dosée et les intrigues passionnantes rendent ce pavé conséquent étonnamment facile à lire.

Latium est un space opéra français qui pourrait bien en remontrer à la grosse production anglo-saxonne. Du sense of wonder, l’aspect « opéra » aussi fort que le « space », un style riche comme on en lit peu et des personnages aussi passionnants qu’intrigants.

Reste maintenant à maintenir l’intérêt dans le second tome, qui, s’il est aussi réussi que le premier risque bien de faire de l’ensemble un chef d’œuvre.