Paru en France en 2010

Au nord du monde est un roman intimiste décrivant la survie dans un futur ravagé, dont la dimension post-apocalyptique est à la fois omniprésente et jamais vraiment révélée.

Marcel Theroux nous plonge dans le quotidien de Makepeace, dernière habitante d’Evangeline, une ville de Sibérie dans un futur proche où le réchauffement climatique a permis de rendre le grand nord à peine plus supportable. Mais la Sibérie est surtout devenue le refuge de ceux qui cherchent à échapper au reste de la civilisation.

J'ai amassé un éclat d'aile noircie parmi les débris pour m'en faire un souvenir, et je l'ai transformé en une croix minuscule que j'ai portée attachée à un lien autour du cou.

Si ce qui a conduit à la décadence du monde n’est jamais détaillé, quelques indices évoquent à la fois une catastrophe nucléaire, des guerres et une série de crises économiques et climatiques. Les parents de Makepeace étaient des colons venus avant cette fin annoncée, pour retrouver un mode de vie plus authentique, qu’ils croyaient plus sain.

Et tout au long du roman perle l’idée de l’opposition entre ces bourgeois désireux d’abandonner la ville et son luxe, la tête pleine de valeurs et de beaux principes, face aux autochtones, les Toungouses et les Russes, qui eux rêvent d’un inaccessible confort et ne comprennent pas ces étrangers qui s’en débarrassent.
L’humain retourné à sa nature sauvage, impitoyable, est au final mieux armé pour survivre que l’idéaliste.

Ils ont construit une potence ce soir-là et à l'aube on nous a fait sortir au pas.

Makepeace, dernière survivante de sa famille, marquée au visage par une agression remontant à son adolescence - et depuis, souvent prise pour un homme - est ainsi confrontée à un monde sauvage où les survivants vivent de la traite d’être humains, se replient en cultes désespérés, échangent le produit de la chasse, se méfient les uns des autres.

Depuis le toit, leur feu se réduisait à une minuscule lueur jaune dans les ténèbres. La ville était tellement silencieuse qu'un grognement ou un rire indistinct traversait parfois le fleuve jusqu'à moi.

Avec une écriture envoûtante, Marcel Theroux dresse le portrait d’une femme qui n’est brisée qu’en apparence, car en elle se cache l’espoir, matérialisé dans cet avion qui s’écrase près de sa ville. L’espoir de retrouver quelque part la vie qu’elle a manqué. Mais ce serait compter sans la nature humaine, sans ces camps d’exploitation où elle finit par se retrouver, sans les zones irradiées où l’on envoie de pauvres hères chercher du matériel. Sans sa propre nature, puisqu’elle même passe du côté des gardiens, pour survivre, ou bien pour mieux vivre.
Il s'avère difficile de cesser de tourner les pages de ce roman habité, dont la voix résonne encore longtemps dans la tête après l’avoir refermé. Le style emporte le lecteur, avide de ces paysages gelés, de cette lutte permanente pour dénicher à manger, à parler, à aimer. Chacune des pensées de Makepeace sonne juste, et c’est tout ce qui fait la force du roman.

Au nord du monde est un grand livre. Pesant, terrible indéniablement, mais chargé d’un souffle quasi mystique avec cette héroïne si pragmatique et pleine de rêve à la fois. Un roman qui évoque trop bien à quoi ressemblerait notre monde après une catastrophe nucléaire. A lire absolument.

1 commentaire.

  1. Vert says:

    Un très beau livre, j'en garde un excellent souvenir !