Paru en France en 2014

Morwenna est un livre... pour lecteurs. Voilà qui semble un pléonasme, formulé ainsi, mais cet ouvrage qui évoque le quotidien d’une jeune fille se réfugiant dans les livres parlera à plusieurs générations de solitaires dévoreurs de pages.

Jo Walton présente son ouvrage sous la forme du journal de Morwenna, qui a fuit sa mère et le pays de Galles après la mort de sa jumelle, et se retrouve chez un père qu’elle ne connaît pas et dans un pensionnat anglais.

Trois axes sont présentés en parallèle. D’abord cette succession de tranches de vie de l’adolescente, sa relation aux autres, son regard toujours un peu extérieur sur le monde, comme si elle n’en faisait pas partie. La découverte du pensionnat, sa blessure à la jambe, la nourriture, le train, les premières expériences amoureuses, la famille paternelle... Tout sonne juste. Certains passages sont vibrants d’émotion et rappellent l’écriture de Kazuo Ishiguro quand il dépeint le pensionnat dans Auprès de moi toujours, même si la finesse d’Ishiguro reste difficilement égalable.
Finalement, c’est sans doute cette partie journal de bord d’une ado en 1979 et 1980 qui est la plus fascinante, la plus vraie, qui se suffirait presque à elle-même.

« Même maintenant, je peux toujours me retirer dans la Terre du Milieu et être heureuse »

Le second axe consiste en cette fameuse liste de lecture qui a, sans doute, contribué au succès du bouquin. Morwenna mentionne chaque ouvrage qu’elle lit ou partage avec son club de lecture, et en commente une partie. Il s’agit pour l’essentiel de science-fiction et de fantasy. Tolkien, Zelazny, Delany, Heinlein, Le Guin... (une liste en français a été dressée ici). De quoi titiller la nostalgie et l’empathie d’un bon nombre de lecteurs. Sans compter que les univers littéraires vont donner à l’héroïne sa propre lecture du monde, entre réalité et magie.

« Je me demande si les fées se souviennent du jurassique, si elles marchaient parmi les dinosaures et ce qu’elles étaient alors »

Et c’est probablement ce dernier axe, la magie, qui m’a déçu dans Morwenna. La jeune fille voit des fées dans les ruines, et pratique une forme de magie depuis toute petite, bien avant l’accident de sa sœur. Au fil du journal, avec un suspense un peu artificiel, elle laisse entendre que sa mère est une femme folle mais aussi une entité terrifiante pratiquant la magie avec de mauvaises intentions. Si pendant longtemps on peut croire que Morwenna invente tout, la fin de l’ouvrage laisse supposer le contraire ; les fées et la magie seraient réelles. Sauf que cette intrigue crée une forte attente chez le lecteur, qui ne sera jamais complètement assouvie, tant la rencontre avec la mère est expédiée et caricaturale à l’issue du livre.

Morwenna est un roman addictif, touchant sans jamais verser dans le pathos. On reste fasciné par cette adolescente qui plonge autant dans les livres que vers l’âge adulte, et par ce portrait de l’Angleterre des années 1980. Seul l’aspect fantastique de l’ouvrage, volontairement brumeux et ouvert aux interprétations, crée une frustration. Qui n’empêche en rien de tourner à toute vitesse les pages d'un excellent roman.

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